Mouler une plage et la transporter comme un nouvel horizon, ailleurs...
Sur la valleuse escarpée de Vasterival une femme vient effectuer un rituel étrange. Elle descend le sentier pentu qui mène à la plage. Elle porte un sceau et un sac rempli de matériel. Elle s’arrête au bas de l’escalier, à ses pieds les vagues, la marée est haute. Elle attend. Petit à petit, avec la marée descendante, les rochers apparaissent. Elle en choisi un et consciencieusement entame son rituel : le nettoyer, le badigeonner de cire. Puis méthodiquement le recouvrir de plâtre. Une fois le moulage sec elle le décolle et, comme elle est arrivée, quitte la plage avec l’empreinte de plâtre.
A l’issue de ce premier moulage que j’ai réalisé en 2011, j’ai invité plusieurs personnes sur cette plage, à venir réitérer le rituel, chacun avec sa présence singulière et ses gestes, donnant lieu à autant de portraits vidéo que d’invités et de gestuelles diverses. Chacun un nouveau rocher, avec comme « point de fuite » le moulage d’une plage, en garder l’empreinte, la mémoire. Un relevé de l’emplacement de chaque rocher est effectué à une date précise ainsi que les points cardinaux, afin de pouvoir réinstaller cette plage « fictive » ailleurs, loin de la mer, en respectant son orientation géographique. Acte utopique car la plage change à chaque marée et ses limites sont impossibles à quantifier. Le moulage des rochers de Vasterival a pourtant quelque chose «d’une liste». Une liste qui ne peut être exhaustive, la plage bougeant sans cesse, se déplaçant. Les galets et rochers de Vasterival remontent vers le nord, comme tout ceux du littoral. Entreprise un peu folle mais symbolique de se confronter à cette migration invisible et sa dimension non maîtrisable. Fragilité impalpable de la perte qui donne sens et force à cette interprétation du monde. Au delà de l’installation (moulages et vidéos), un ensemble de documents photographiques ou dessinés, aussi bien techniques que poétiques, complètent cette vision singulière, portrait d’un bout de littoral normand.
La rencontre avec un chercheur en géologie, m’a appris que les galets, le sable, les particules de notre littoral remontent inexorablement vers le nord. L’exposition au MuMa était l’occasion pour moi de continuer ce projet autour des notions de voyage le long des plages, de dérive des rochers et galets du littoral normand vers le nord de l’Europe, de mouvement, de migration au sens large.
À cette histoire de migration de la matière minérale s’est couplé celle des hommes et celle de l’histoire de la céramique - encore une histoire de voyages, d’influences entre civilisations et de croisement des cultures.
J’ai appris également, lors de mes recherches, qu’une partie des galets remontant vers le nord étaient récupérés à Cayeux-sur-Mer dans des carrières et broyés pour la construction mais aussi pour la préparation de la faïence et de la porcelaine. « 10 à 15% des galets sont bleus et composés de quartz très pur. Ils sont calcinés à 1600° pour fabriquer de la cristobalite, matière d’un blanc très pur qui est broyée pour servir dans l’industrie et la céramique. C’est vers le milieu du XVIIIe siècle que les faïenciers anglais ont remarqué qu’en ajoutant une petite quantité de poudre de silex calciné (on disait alors « étonné ») on pouvait augmenter la blancheur des produits et maîtriser le retrait des pièces lors du refroidissement, donc réduire les pertes par éclatement ou déformation. Seuls les galets du cordon littoral fournissent la matière première pour la cristobalite blanc pur. »*
*Atlas des Paysages, La Somme. Bertrand Le Boudec & Hélène Izembart
Ministère de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables.