LIFE IN MOTION*
Le geste comme processus
Chez Laure Delamotte-Legrand, l’image préexiste. Elle EST alors même que la forme aboutie de l’œuvre est encore en gestation. Inconsciente, mais active, elle guide l’artiste sur la voie d’un processus à mettre en mouvement.
Chez Laure Delamotte-Legrand, l’image est multiple. Architecte de formation, la plasticienne et scénographe explore l’objet-image sous toutes ses formes. Un DEA d’études théâtrales et chorégraphiques, une formation à la vidéo, auxquels s’ajoutent de nombreuses collaborations, l’amènent à penser une production nécessairement hybride dans laquelle l’objet coexiste avec la performance ou bien encore la vidéo.
Chez Laure Delamotte-Legrand, l’image est processus, avec comme point de départ cette image pressentie, ou plutôt le pressentiment d’une image. Et chaque production menant jusqu’à elle peut faire œuvre OU : chaque proposition de production et/ou d’assemblage, par sa dimension parfois collaborative, en tout cas performative, est constitutive d’un temps défini de l’objet de la création. Comme chez une Sophie Calle ou un Francis Alÿs, l’œuvre est un texte instable**, une narration qu’on déroulerait dans le temps, chapitre par chapitre. La vision du processus poétique est mobile. La présentation, un segment stabilisé d’une séquence de création dynamique.
Car la notion d’« en cours » pose in fine la question de la restitution de l’œuvre. Chez Laure Delamotte-Legrand, toujours en mouvement jusqu’à ce que l’IMAGE soit enfin là, à l’image de ce qui, tapi dans l’inconscient de l’artiste, faisait moteur, la monstration n’est pas pour autant résiduelle de ce parcours. Elle est un aboutissement, en tout et pour tout, de l’évolution de cette image à un instant donné, qui vaudra autant l’instant suivant, à l’occasion d’une autre présentation. Laure Delamotte-Legrand s’inscrit ainsi dans une filiation clairement assumée et qui puise ses racines dans l’héritage d’expériences d’un Robert Filliou pour Fluxus, ou d’un Guy Debord pour l’Internationale Situationniste. Et d’ailleurs.
Le geste comme sujet
Chez Laure Delamotte-Legrand, qui aime à se définir comme « plasticienne du geste et de la danse », le corps et le mouvement sont placés au cœur même de ces processus d’invention de l’image. Comme un trésor auquel il faudrait donner son existence propre.
Chez Laure Delamotte-Legrand, la pauvreté constitutive du corps et son infinie potentialité dès lors qu’il est mis en mouvement nourrissent des expériences variées. A l’instar d’un Erwin Wurm, mais alors que celui ci explore la dimension plastique de la marche, il y a chez Laure Delamotte-Legrand comme une interrogation de la notion de posture - en tant que phénomène sémiologique qui fait image, et porte en son sein une certaine mise en réflexion de/sur l’image.
Car en effet, l’approche n’est pas seulement cinématique***. Le franchissement de la distance spatiale, le parcours corporel dans l’espace induisent une réflexion non pas sur le mouvement lui-même, ou pas seulement, mais aussi sur le monde qui nous entoure et la façon dont nous traitons (ou maltraitons) le corps aujourd’hui. Les images générées par la publicité, ou par les souvenirs personnels, ou toutes autres images sociales, traversent ce corps, parfois avec violence.
Alors, l’artiste entre en résistance et s’essaye à réinjecter de la douceur là où l’humain l’oublie, parfois.
Alors, le travail de Laure Delamotte-Legrand s’inscrit dans un large mouvement contemporain de création explorant les potentialités des rapports entre arts visuels et danse - le terme danse étant à prendre dans une acception plus large que celle du tout chorégraphique - pour interroger, nourri d’une culture protéiforme mais notamment scénique, un questionnement du monde au prise du génie du lieu par le biais de la question du corps.
Alors, du déplacement - physique et corporel, mais aussi et tant est qu’il puisse être celui du regard et du point de vue - surgit l’image.
Marie Bazire
Pour echo(e)s (art contemporain, diffusion,
édition, commissariat d’exposition)
* Citation / Tate Liverpool’s Life in motion exhibition
**Enrico Camporesi sur la question d’une définition à donner à la création dans le champ de l’image en mouvement
***Thierry Davila sur la question du déplacement dans l’art du XXè siècle